L’incertitude dans les projets : une source d’opportunités

Jean-Marie Buchilly
4 min readMar 21, 2024
“L’Odyssée de Spring: histoire et leçons d’un projet impossible” — Editions Dunod

La notion d’incertitude diffère de celle de risque en cela qu’elle possède une composante positive.

Les risques sont identifiés et quantifiés et doivent généralement être atténués. Les risques sont gérés et la gestion du risque fait partie intégrante de la culture de gestion de projet. La gestion du risque s’appuie fortement sur l’état de l’art et le corpus de connaissances existant. Le passé éclaire le futur.

L’incertitude, quant à elle, n’est pas identifiée ni quantifiée en tant que telle. Elle est présente et il est clairement possible d’estimer grossièrement le niveau d’incertitude d’un projet, néanmoins il n’est pas possible d’identifier et de lister précisément ces incertitudes, ni de les quantifier au travers d’une analyse classique. La gestion des incertitudes, si tant est qu’on puisse utiliser cette formule, devrait s’appuyer sur des connaissances encore inexistantes car ces incertitudes sont fortement corrélées au fait que leur objet est nouveau et n’a encore jamais été réalisé. Le future serait sensé éclairer le futur, le paradoxe est ici assez aisément appréhendable. Nous avons affaire à ce que certains nomment des unknown unknowns ou des cygne noirs.

Fort de ce constat, la gestion des incertitudes, que l’on peut aussi considérer comme des inconnues, nécessite des approches spécifiques qui différent des méthodologies de gestion des risques classiques.

De manière très générale, car ce n’est pas l’objet de ce post, l’idée est d’adopter une approche visant à définir les zones d’incertitudes au sein du projet, d’émettre ensuite des hypothèses, puis finalement de procéder à des expériences (un terme à prendre au sens large) permettant de lever certaines inconnues, et de confirmer ou infirmer les hypothèses, en se confrontant à l’objet même de ces incertitudes. On peut citer le Design Thinking, par exemple, comme méthodologie exploitant une séquence de ce type et qui est assez populaire dans les processus d’innovation.

En appliquant une telle méthode dans un projet à haut degré d’incertitude, il est normal qu’une majorité des hypothèses ne passent pas la rampe ou, tout du moins, nécessitent d’être retravaillées (itérations successives). Lorsque l’on observe le résultat final et qu’on le compare au cahier des charges initial, il est très vraisemblable qu’il y ait un écart important entre les deux.

Si l’on analyse ce résultat au travers d’un filtre classique de gestion de projet, nous dirons que le projet n’a pas, ou que partiellement, atteint les buts fixés.

Hors, ce qui est vrai dans le monde déterministe des projets à faible degré d’incertitude ne l’est pas dans celui des projets à haut degré d’incertitude.

En cours de route, les multiples expériences réalisées vont amener de nouvelles connaissances, c’est leur unique objectif.

Cette connaissance pourra dans certains cas nous aider à identifier un risque qu’il sera nécessaire de gérer. Dans ce cas, le projet reste sur ses rails et le gain principal de l’expérience est la réduction du niveau d’incertitude, et du risque y relatif.

Et dans d’autres cas, cette nouvelle connaissance sera de nature à ouvrir une nouvelle voie. Elle mettra en lumière un nouveau champ des possibles qui n’avait encore pas été identifié. Dans ce cas, le projet peut plus ou moins pivoter et le gain principal de l’expérience est l’ouverture d’une nouvelle voie, potentiellement plus porteuse que les précédentes. Le projet ne reste donc pas sur ses rails et le résultat va s’éloigner du but visé initialement.

Il s’agit de l’un des cinq principes de l’effectuation, un concept développé dans les années 90, et qui vise notamment à tirer parti des circonstances. Le terme de serendipité (serendipity) incarne assez bien ce phénomène.

Cette capacité à s’écarter du but initial en exploitant les opportunités qui se présentent au cours du projet est parfaitement illustrée par le projet de développement de la Dacia Spring.

Il s’agissait initialement pour Renault de développer un véhicule électrique à très bas coût pour le marché chinois. Au fur et à mesure des difficultés et des opportunités qui en ont découlé (Covid-19, cultures différentes, fournisseur de batterie défaillant,…), le projet s’est peu à peu réorienté sur le marché européen, permettant ainsi à Renault de proposer, au travers de la marque Dacia, un véhicule très compétitif car bénéficiant notamment d’un processus de développement optimisé et d’un outil de production très performant tout en étant optimisé du point de vue des coûts.

L’histoire est très bien racontée dans le livre L’Odyssée de Spring: histoire et leçons d’un projet impossible” et permet de connecter les éléments conceptuels de ce post avec une réalité très concrète, à savoir le développement d’un véhicule électrique pour un nouveau marché, ce qui constituait pour Renault à cette époque un projet à très haut degré d’incertitude à n’en pas douter.

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Jean-Marie Buchilly

Jean-Marie is an engineer. And a wine lover. And a runner. And the father of a 12 years old girl. And he thinks he can change the world. And he is trying. Now.